Interview
Jérôme Malaval par MacDan
Dan: Bonjour Jérôme et merci à toi de nous avoir consacré un peu de ton temps pour cette interview à l’attention des visiteurs et membres de "Mac et guitare©". Je te précise que c’est également, et à titre personnel, un grand plaisir que de parler de ton style (pour tenter de le pratiquer moi-même avec plus ou moins de bonheur ;-)...) et de ta production liés au "fingerpicking" en faisant également référence à des guitaristes de renom que j’apprécie beaucoup parmi lesquels : Jerry Reed, Chet Atkins, Jim Nichols voire Tommy Emmanuel... Tout d’abord, et pour mieux appréhender les réponses que tu nous fournira ci-dessous, j’invite tous nos lecteurs, visiteurs et membres, à consulter préalablement ou parallèlement ton site Internet à l’adresse http://www.jeromemalaval.com où chacun pourra y apprendre, en consultant ta biographie et en écoutant quelques extraits en MP3, que tu représentes actuellement le meilleur "émule" français du style qui a été développé par Jerry Reed aux USA. Jérôme: Emule de Jerry Reed, sans doute, français, assurément, le meilleur, faut voir... Peut-être le meilleur de ceux qui se sont fait connaître... 1)Dan: Tu nous apprends, sur ton site dont je parlais précédemment, que ta révélation pour le picking s’est faite (comme beaucoup d’entre nous en France et comme tu le précises très justement) par l’écoute des premiers disques de Marcel Dadi. As-tu eu l’occasion de rencontrer (voire de jouer avec) Marcel avant sa tragique disparition ? Jérôme: Oui... Paradoxalement, je ne l’ai rencontré que lorsque je suis allé aux Etats-Unis pour la première fois, en 1995. Je l’ai revu, toujours à Nashville, l’année suivante. Je faisais partie des deux ou trois français à assister à la petite cérémonie organisée au Country Music Hall of Fame, au cours de laquelle lui a été décernée une étoile dans la Walkway of Fame. C’était une façon de récompenser le rôle qu’il avait joué dans la promotion de la Country Music en Europe. Chet était là... Il s’en était suivi un barbecue chez Thom Bresh, le fils de Merle Travis. Dès le lendemain nous repartions tous deux vers la France, lui transitant par New York, moi par Detroit. Ca n’est qu’en atterrissant à Paris que j’ai appris ce qui était arrivé au vol TWA 800 et un peu plus tard, un coup de fil m’informait qu’il était à bord.... C’était un homme à l’esprit extrêmement vif. J’avais été frappé par sa capacité à « tenir » un public anglo-saxon avec la même maîtrise que je l’avais vu avoir face à une audience française. C’était un grand show-man. 2) Dan: Tu t’es ensuite rapidement intéressé au style de Chet Atkins (bravo d’ailleurs pour le déchiffrage d’oreille que tu as dû effectuer alors). Sur quelle guitare jouais-tu à l’époque ? As-tu réussi tout de suite à obtenir le "son" Atkins ? Jérôme: A mes tous débuts, je jouais sur guitare sur guitare folk, comme tout le monde. A cette époque, en France, tout autre instrument aurait été impensable ! J’étais d’ailleurs un grand admirateur de Marcel Dadi et ce genre d’instrument convenait parfaitement au style. Lorsque je m’en suis écarté pour aller vers le monde de Chet Atkins, je suis naturellement passé à la guitare classique. Assez vite, j’ai bien acquis une GRETSCH Country Gentleman. Mais c’était une production des années 70, pas faite pour le fingerpicking, pas très bonne en fait. J’ai donc principalement travaillé sur cordes nylon... Quant au son Atkins, non seulement, je n’ai pas réussi tout se suite, mais je ne suis pas sûr d’y être jamais arrivé ! Des émules de Chet, il y en a des millions. Mais Chet avait une précision, une pureté dans le jeu, un groove et une mise en place exemplaires ! Et le son Atkins, c’est surtout ça. Je crois que ceux qui s’en approchent le plus sont Jim Nichols et Richard Smith... 3) Dan: Finalement, par le biais du guitariste Jim Nichols plus tard, tu as eu l’occasion de rencontrer Chet Atkins personnellement et mêmede jouer avec lui me semble-t-il... Peux-tu nous parler de cette rencontre (sûrement "magique" et impressionnante pour toi) et de tes impressions d’alors ? As-tu eu également l’occasion de connaître personnellement Jerry Reed (qui est devenu ta principale référence par la suite) ? Jérôme: C’était en juillet 1995. J’étais à Nashville depuis trois ou quatre jours. Je venais de rencontrer Jim Nichols et, après que nous ayons joué des heures ensemble, Jim m’a dit : « Demain, on a rendez-vous avec Chet ! ». Ca s’est passé dans son bureau de Nashville. Jim m’a présenté en vantant mes mérites de guitariste auprès de Chet. Ca devait lui arriver 10 fois par jour et il n’a pas semblé y prêter grande attention ! Jim et lui ont joué deux heures durant. Pour ma part, j’étais tranquillement installé dans le rocking-chair de Mister Guitar, grignotant du pop-corn et jouissant de la joute musicale (je précise que je ne suis pas fana du pop-corn mais celui-ci avait un goût particulier !) Je me souviens que Chet a parlé de Merle Travis, de sa rencontre avec Segovia, de la manière dont il avait fait les arrangements en studio pour les Everly Brothers, etc... C’était fascinant de voir la culture musicale de cet homme. Tout cela m’aurait largement suffi, mais Chet s’est levé, m’a tendu sa guitare et a dit : « Joue-moi quelque chose ! » C’est un sentiment assez prenant qui vous étreint quand votre idole de toujours est sur le point de vous juger. Je crois que ce qui m’a sauvé, c’est que, à Nashville, depuis quelques jours, je venais de découvrir les Doyle Dykes, Tommy Jones et autres montagnes de talent qui avaient laminé mon ego. Aussi ai-je joué en toute simplicité. Je me rappelle avoir fait « When you Wish Upon a Star ». Ca a dû plaire à Chet puisqu’il m’a alors montré quelques nouveaux plans qu’il avait concoctés sur ce morceau. Ca m’a fait repartir pour 25 ans... Quant à Jerry, je l’ai croisé quelques fois mais je ne l’ai jamais rencontré. Je ne suis pas le seul dans ce cas, puisqu’en discutant avec Sonny Thomas, le luthier qui règle ses guitares, j’ai appris que lui-même ne l’avais jamais rencontré ! C’est un personnage un peu mystérieux et les discours quant à sa personnalité sont très variés. Ce qui et certain, c’est qu’il n’est guère conscient de son génie et reste très complexé face aux autres guitaristes, surtout depuis ses problèmes de santé. Ca reste le grand regret de ma vie et je donnerais beaucoup pour serrer la main de cet homme-là ! 4) Dan: Tu as également collaboré avec Tommy Emmanuel pour la conception de ton premier album. Peux-tu nous parler un peu de ce travail et des relations que tu entretiens avec Tommy ? Jim Nichols est également un virtuose de la guitare qui semble avoir eu une grande influence sur ton parcours musical, peux-tu nous dire ce que tu apprécies le plus chez ce dernier guitariste ? Jérôme:Tommy est un bon copain. Je l’ai rencontré en 1996, il venait tout juste d’enregistrer avec Chet. Mais il avait aussi interrompu sa carrière de star en Australie et recommençait à zéro, tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Ca a certainement favorisé nos contacts. Il habitait alors à Londres et je le rencontrais souvent, en France, en Allemagne ou aux USA. Il m’a toujours soutenu et j’ai souvent joué avec lui sur scène. Le peu de carrière que j’ai pu avoir, je la dois à Jim Nichols. C’est lui qui m’a ramené des Etats-Unis dans ses valises et m’a fait remonter sur scène en France. Avec lui, j’ai joué à Nashville, San Francisco, Los Angeles... Lorsque l’on m’a proposé d’enregistrer, je n’étais pas très chaud car je ne voulais pas faire un disque en solo. Une fois plus, Jim a été là pour me dire qu’il me ferait les accompagnements. Là-dessus, Tommy m’a proposé d’y faire les parties de basse et de batterie. Ces types-là ont beaucoup compté pour moi... et ils comptent encore ! Jim est un guitariste incomparable, parfaitement pluridisciplinaire, un des grands spécialiste du style de Chet et le plus grand guitariste de jazz que j’ai jamais entendu ! J’ai vu beaucoup de guitaristes le découvrir, certains forts célèbres. J’ai vu bien des egos en prendre un coup.... 5) Dan: En France, maintenant, tu as eu l’occasion de rencontrer (et de jouer avec) d’importants guitaristes de Jazz, je pense à Romane, Christian Escoudé ou encore Sylvain Luc... que t’ont apporté ces diverses rencontres ? Qu’en as-tu éventuellement retiré pour ton jeu ? Jérôme: Pour Luc et Escoudé, je n’ai fait que les croiser dans des coulisses de concerts. Romane, lui, est un bon copain. C’est un bon musicien et un bon vivant. Ceci dit, ces gens sont des jazzmen, chose que je ne suis pas. Je suis incapable de jouer avec ces types-là. Mais pour avoir souvent observé Romane dans ses concerts, j’en retire que l’habileté du discours musical compense largement le fait qu’on ne soit pas forcément parmi les plus grands techniciens d’un style. 6) Dan: Il existe également de nombreux guitaristes français de talent en fingerstyle et en fingerpicking particulièrement, lesquels retiendrais-tu prioritairement pour ta part et pour quelles raisons ? Jérôme: Concernant le fingerstyle, je pense que Sylvain Luc est certainement le plus brillant technicien que j’aie eu l’occasion d’entendre en France. Il a une main droite de fou et une grosse culture.... 7) Dan: A propos "jeu" parlons maintenant du tien justement ... comment peux-tu le caractériser (si tu devais le décrire à un débutant par exemple) ? Tu possèdes plusieurs guitares (cf ton site) choisies donc, on le suppose, par rapport à ton jeu et au "son" que tu désires obtenir, les utilises-tu toutes de manière régulière, y en a-t-il une que tu joues plus souvent ? Tu joues beaucoup sur "cordes nylon" ou avec cordes faible tirant sur l’électrique semble-t-il, pourquoi ces choix ? Jérôme: Je ne sais pas ce qui caractérise mon style... Si l’on en croit certains fans de Jerry Reed, je joue comme Jerry mais « plus fluide » et « plus propre ». C’est très gentil mais c’est faux, malheureusement... Mais cette impression doit correspondre au mélange entre le côté funky hérité de Jerry et la culture du son propre et coulé de Chet. C’est aussi pour ça que je joue principalement sur une guitare à cordes nylon, le plus souvent désormais un modèle superbe que ACE GUITARS a fait pour moi. Elle est puissante et extrêmement précise dans la définition du son. Comme, j’ai une main droite assez puissante, je préfère les tirants un peu fort En revanche, sur les hollow bodies que sont les GRETSCH, je prends un tirant assez faible, parce que ça permet plus de sensibilité et ça donne plus de sustain. 8) Dan: Par rapport à ton expérience, quels conseils donnerais-tu de manière prioritaire à un débutant qui voudrait aborder les titres que tu joues ou qui désirerait se lancer dans le jeu en fingerpicking en général ? Jérôme: Je pense qu’il faut privilégier la précision harmonique (c’est à dire les vrais accords et pas les approximations !) et la rigueur rythmique, plutôt que rechercher la vitesse. Car ça ne sert à rien de chercher à jouer vite si on ne joue pas en rythme. Je connais plein de gens qui connaissent Jerry’s Breakdown mais sont incapables de le jouer dans le temps. Il faut apprendre à marcher avant de courir. J’ai fait cette erreur et il m’a fallu beaucoup de temps pour me corriger. Si on écoute attentivement Chet ou Jerry, on a toujours l’impression que ça va vite. C’est souvent faux. C’est simplement parfaitement en place. Ces types étaient métronomiques. Et tout le groove vient de la mise en place. 9) Dan: Nous arrivons maintenant à ta production musicale et je pense aux deux albums que tu as produits intitulés respectivement Struttin’et Jump On It ! On y retrouve, sur les deux, le guitariste Jim Nichols à tes côtés ainsi que beaucoup de titres de Jerry Reed Hubbard mais les orchestrations sont différentes, peux-tu nous en parler ? Envisages-tu également un jour de jouer "tes propres titres" sur un prochain album, as-tu des projets (voire déjà des réalisations en cours de finalisation) dans ce sens ? Jérôme: Le premier album, Struttin’, s’est fait un peu à l’arrache. On me proposait d’enregistrer, il me fallait la matière et j’ai sorti tout ce que je connaissais pour aller au plus vite et faire un album équilibré. Pour les orchestrations, l’influence de Tommy a été importante dans la vision très « rock » de morceaux comme « The Claw ou « Stumpwater ». J’ai une façon de jouer très « musclée », c’était encore plus vrai à cette époque. Et Tommy a joué de ça.... Le deuxième album, « Jump On it ! » correspond beaucoup plus à ma vision à moi de la production. J’avais une idée bien plus claire de ce que je voulais obtenir. A partir de là, beaucoup de choses se sont vraiment faites en studio, avec les suggestions et les coups d’inspirations des divers musiciens. Tant Tommy Emmanuel que Jim Nichols ont une très solide expérience de l’enregistrement et de la production. Ce sont des gens qui savent « arranger la sauce »... Je suis dans la phase intellectuelle de construction du troisième album. Il y aura certainement des compositions... de toute façon, il sera différent des deux autres, c’est la condition sine qua non... 10) Dan: Peux-tu enfin nous communiquer ici les dates et lieux de tes prochains concerts en France ? Jérôme: Promis, juré, dès qu’on me demande de jouer en France, je vous le dirai (rires) ! Dan: Encore merci pour toutes ces réponses, Jérôme, nous comptons sur toi aussi pour communiquer à la rédaction de M&G toute nouvelle prestation ou production d’album de ta part, ce sera avec plaisir que nous en informerons nos lecteurs ! Amicalement Dan
Encore merci à Jérôme pour sa gentillesse et pour le fait d’essayer de populariser la musique de Chet Atkins et de Jerry Reed en France ! Nous attendons également son troisième album qui devrait sortir dans le courant de l’année 2006, nous l’espérons... Bonne écoute donc ! Dan
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